Je commence cette année avec le sentiment de m’être creusé une petite place dans le joli monde de la mode éthique. C’est un vrai accomplissement. Une grande joie. Quel a été mon trajet pour en arriver là? C’est le sujet que j’ai envie d’aborder pour le premier article de l’année.
Je vois de plus en plus de marques éthiques éclore. Et à chaque fois que j’en découvre une nouvelle, je frétille. Mais c’est quoi une marque éthique, au fond ? Qui a le droit de s’autoproclamer ‘éthique’ ? Quels sont les critères pour le devenir ? Même si c’est joli, c’est encore assez flou tout ça. Il y a le « fait-main en Europe », il y a le « fait-main » tout court (et on ne sait pas où), il y a l’étrange « fabriqué en Chine avec amour », il y a le « dessiné en Belgique » (et fabriqué on ne sait trop où), etc. Bref, chacun voit ce concept avec ses propres lunettes. Aujourd’hui, en ce début d’année, j’ai envie de vous faire part de mon regard sur le sujet.
Je vais vous raconter une histoire vraie. Celle de l’évolution de Tiroir de Lou en marque « éthique ». Celle d’un projet fondé sur des valeurs et de convictions de plus en plus ancrées. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi on a, petit à petit, trouvé une place dans le monde de la mode éthique en Belgique.
Un moteur : le cœur.
Tiroir de Lou, c’est avant tout une histoire de vrais gens. Une histoire humaine. Une marque rêvée avec le cœur. Un projet qui grandit et qui évolue à mon rythme… Et surtout, surtout, comme tout ce qui est artisanal, c’est une marque qui fabrique des petits « objets » dotés d’une âme.
Mes motivations n’ont jamais été financières. Même si, idéaliste ou pas, quand on crée un projet, il faut garder les pieds sur terre et construire… une entreprise. Au grand désespoir de mon papa (et associé), c’est un mot que je n’aime pas trop. Mon objectif, avec cette entreprise ? Vivre. Juste ça. Vivre de ma passion. Et évoluer, pour pouvoir inviter d’autres idéalistes dans la danse. Des clientes fidèles évidemment, et puis des coéquipiers pour marier des forces complémentaires !
Faire du bien par le beau. Apaiser. Créer des émotions aussi. C’est tout ce qui m’importait.
Quand j’ai lancé Tiroir de Lou, je n’avais qu’une vague idée de qui j’étais. Je sentais des vibrations. Des élans pour le joli. Pour la création. J’étais tractée par quelque chose de puissant, que je ne cherchais même pas à définir. Je touchais à une part essentielle de moi : je voulais, depuis toute petite, passer ma vie à allumer des petites lumières. Faire du bien par le beau. Apaiser. Créer des émotions aussi. C’est tout ce qui m’importait. C’était il y a plus de 6 ans.
Une valeur centrale : l’authenticité
Entre-temps, mon projet a grandi. Et, moi avec. Presque d’un coup. Ma vie s’est mise à piquer. Tout est devenu flou. Et moi aussi. Je vous en ai parlé, à l’époque. On appelle ça le « burn out ». En réalité, le burn out, c’est bien plus profond qu’un trop-plein professionnel. C’est un cri de l’âme. Du cœur. Pour nous dire qu’il y a quelque chose à changer. Et le plus souvent, cette fameuse chose à changer, elle est à l’intérieur de nous. Cette phase de la vie m’indiquait qu’il était temps d’ajuster mon regard pour me rapprocher de moi.
Revenir à l’essentiel. Pile poil ce dont notre monde a besoin.
Au travers de Tiroir de Lou, j’ai découvert mes valeurs. Mes vraies envies. Mes motivations profondes. Ma mission première était juste. Complètement alignée avec qui je suis. Mais une seconde ‘mission’ s’est ajoutée, comme une évidence, à ma vie et à ce projet : l’authenticité. Revenir à l’essentiel. Pile poil ce dont notre monde a besoin. Pousser l’artisanat vers lequel je m’étais orientée naturellement – mais avec moins de conscience – à sa dimension la plus noble. Le rendre plus pur. Sortir du « simple » assemblage que je proposais au départ. Me former en bijouterie pour pousser le « fait main » plus loin, utiliser de plus en plus de matériaux nobles, mieux cibler nos fournisseurs, etc. Défier le monde de la surconsommation dans lequel je suis née. Tenter, à ma mini échelle et avec beaucoup d’humilité, de participer à l’éveil des consciences, au même rythme que la mienne.
L’éthique de Tiroir de Lou n’est donc pas un argument marketing. C’est le résultat d’une évolution profonde, bien vivante, au creux de mon ventre.
Un défi périlleux
Le plus gros challenge, par rapport à cela ? N’exclure personne, malgré ce virement de bord. L’aspect le plus important, à garder de vue malgré cette démarche : les prix. Car plus le fait-main s’impose, plus les matériaux se purifient, plus les fournisseurs se rapprochent… plus les prix augmentent. Et je ne voulais pas exclure mes fidèles de la première heure. Alors cette évolution s’est faite en douceur. Petit à petit. Nous avons tenté d’éliminer tout ce qui n’était pas aligné avec ces valeurs. Et on évolue encore en ce sens aujourd’hui. Il nous reste deux fournisseurs hors de l’Europe, trouvés au tout début de Tiroir de Lou. Ils nous fournissent essentiellement des pierres. Petits trésors que l’on ne peut malheureusement pas aller déterrer dans les carrières du Namurois…
Je me suis parfois demandé si j’aurais dû lâcher Tiroir de Lou. Pour créer une autre marque, fondée dès sa première heure sur l’éthique. Mais je crois que je serais sortie du spontané. Du vrai ! Tiroir de Lou est mon bébé et il évolue avec moi.
Des marges justes
Que contient le prix d’un petit bijou Tiroir de Lou ? Le métal, les pierres, le travail, mais pas que ! Toutes les coulisses, les dizaines d’étapes qui précèdent l’envoi d’un petit bijou par la poste. La partie immergée de l’iceberg. Les heures de travail consacrées à la communication, la dorure de qualité, un service clientèle dévoué et bienveillant (merci Anthony !), notre atelier, l’aménagement de notre showroom, les évènements à l’atelier, la gestation des idées, la chasse aux trésors (les pierres, surtout), nos outils magiques, la gestion et la compta’, notre packaging responsable, le savoir-faire et le temps précieux de l’équipe, sans oublier notre marge, bien-sûr… Pour voir plus loin. Et continuer de vivre de notre passion.
Que l’on soit boucher, boulanger, céramiste, on a toujours des stocks plus difficiles à vendre. Même les artisans.
On met donc tout en œuvre pour que nos prix soient les plus justes possible. C’est aussi pour cela que nous ne faisons pas de soldes proprement dites. Ou alors, à notre sauce et avec parcimonie. Avec nos fameux « fonds de Tiroirs ». Un onglet où on peut farfouiller pour se faire plaisir à prix doux. J’y propose des capsules inédites (créées avec des pièces qui m’inspirent un peu moins, par exemple) ou de toutes petites réductions sur des modèles en fin de vie. Que l’on soit boucher, boulanger, céramiste, on a toujours des stocks plus difficiles à vendre. Même les artisans. C’est une réalité. À chacun de tenter de gérer sa « production » (je n’aime pas ce mot). De ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Et ensuite, de vendre les produits qui traînent un peu la patte de la façon la plus juste qui soit.
Du local : « Fait-main dans nos ateliers »
Ça, c’est ma plus grande fierté ! On a notre atelier à nous. On fabrique nos bijoux dans nos murs, avec nos propres outils. Les plus précieux d’entre eux ? Nos mains. Qu’est-ce qu’on y fait, exactement, dans cet atelier ? Il y a des pièces que nous créons de A à Z. De plus en plus. C’était mon Graal. L’objectif suprême. Partir de rien, puis forger du métal brut et imaginer une infinité de possibles. Évidemment, pour rester dans des prix raisonnables, on ne peut pas toujours tout fabriquer nous-même. Les fermoirs, les chaînes, les petits anneaux, ça c’est sûr, on ne pourrait même pas le faire. C’est une machine qui a ce pouvoir-là. Il y a d’autres jolies petites pièces en argent que l’on achète en Europe (même si 5 % de nos pièces proviennent encore d’ailleurs, car la chasse au joli n’est pas toujours évidente). La plupart du temps, nous les transformons. Nous les détournons de leur utilité de base, nous les martelons, nous leur donnons une autre forme, nous les soudons sur quelque chose, etc. Nous nous les approprions. Ensuite, nous les assemblons et leur donnons vie en tant que bijou fini.
Partir de rien, puis forger du métal brut et imaginer une infinité de possibles. C’était mon Graal.
Ah oui, j’oubliais : nous travaillons aussi régulièrement avec un artisan belge qui maîtrise l’art de la cire perdue (une technique très ancienne). Cela nous permet de reproduire certaines pièces en cire, grâce à des moules. Mais aussi de dépasser le côté très « lisse » du métal. Grâce à la cire perdue, on peut soit mouler un objet qui présente une texture intéressante (un morceau de dentelle, par exemple), soit directement façonner une pièce dans de la cire et la reproduire dans du métal. La cire offre une multitude de possibilités, c’est complètement magique. C’est par exemple le cas pour ma collection Safari. Sans cette technique ancestrale, elle n’aurait jamais vu le jour. Même si le mot ‘moule’ fait penser à du travail en série, ça n’en demeure pas moins une démarche artisanale et locale, de production à très faible échelle.
Depuis plus de 2 ans, j’ai deux gammes : les Amulettes (l’assemblage) et les Pépites (les créations de A à Z). Cette distinction perd peu à peu son sens car, quelle que soit la gamme, il y a toujours l’un ou l’autre geste de bijouterie professionnelle qui s’invite dans la création. Il n’y a plus vraiment d’assemblage au sens strict. Chaque bijou dépasse cette démarche pourtant fondatrice.
Un tempo « slow »
En fait, on parle de « slow » comme d’un terme à la mode. Mais c’est juste le rythme normal de la vie qui va… C’est l’industrialisation qui a fait sortir notre société de ce rythme « bienheureux ». Nous sommes des humains. Et c’est en cette qualité que l’on s’autorise à fonctionner au rythme de la vie. Même si certaines périodes sont plus intenses que d’autres, nous essayons toujours de rester dans un rythme « slow ». Nous fabriquons toutes nos collections en petites séries (de 5 à 30 exemplaires par création). Et si par la suite, notre instinct nous dit de reproduire une pièce, on l’écoute.
Nous sommes des humains. Et c’est en cette qualité que l’on s’autorise à fonctionner au rythme de la vie.
L’humain et le respect sont vraiment au centre de notre projet. Notre équipe est petite et son équilibre est fragile. Sans bienveillance, elle vacille et ne tient plus la route. C’est pour cela que l’on attend que notre cœur fasse « boum » avant de faire rentrer quelqu’un dans l’équipe.
Ce qui est génial, c’est que, avec le temps nos clientes nous ressemblent de plus en plus. Elles comprennent ce rythme. Elles savent que, quoi qu’il arrive, nous ferons de notre mieux. Et que parfois, les choses peuvent prendre du temps. C’est la bienveillance dont elles font preuve, elles aussi, qui nous donne envie de nous lever le matin !
La durabilité comme priorité
Quand je me suis lancée dans le monde féerique du bijou, je n’y connaissais rien. Je fonctionnais à l’instinct. Et je développais mes propres méthodes. Souvent en mode McGyver. Je ne savais pas comment faire pour qu’un bijou ‘fantaisie’ ne s’abîme pas. Je ne connaissais pas les différents alliages. Je ne savais pas qu’il y a des différences énormes dans la qualité du plaqué or. Je ne connaissais pas le prix de l’or. Je ne savais pas que le métal peut se briser. Je ne savais pas que les pierres sont sensibles à la chaleur. Je ne savais pas que le métal craint l’humidité. Je ne savais pas que le PH de la peau pouvait avoir un impact sur l’oxydation du métal. Je ne savais pas qu’un bijou artisanal qui coûte 20 € ne peut pas tenir la route. Je ne savais pas dans quels pays on trouve les pierres précieuses. Je ne savais vraiment pas grand-chose. Avec le temps, j’ai appris. À l’école mais pas que. Avec l’expérience aussi. Les bijoux que je propose aujourd’hui sont tellement plus durables (dans les deux sens du terme) que mes premières créations. Ils sont même plus durables qu’il y a un an. Et puis, quoi qu’il en soit, nous faisons toujours notre maximum pour offrir une seconde jeunesse à nos trésors, garantis ou pas. Et ça, c’est un élément essentiel dans notre démarche.
Une philosophie globale
Ces valeurs s’intègrent dans la plupart de nos démarches, au-delà du bijou. Il y a notre petit packaging responsable (imaginé à l’atelier et fabriqué dans des matériaux durables à l’atelier de la prison de Forest). Il y a aussi nos partenariats. Dès que nous collaborons avec une marque, nous sommes toujours attentifs aux valeurs qu’elle défend. Le local s’étend bien au-delà de nos bijoux : nous faisons pratiquement TOUT nous-même. Notre com’, nos photos, nos vidéos, nos évènements… Les éléments de déco de notre showroom sont soit de la récup’, soit ramassés dans la nature, soit fait-main par nos soins. Nous collaborons toujours, dans la mesure du possible, avec des partenaires locaux (packaging, fournitures, site internet, outil de gestion, etc.). Et bien sûr, il y a nos efforts quotidiens pour la planète. À ce sujet, notre grande victoire de 2018 est sans doute la réduction drastique de l’usage du plastique. Il y a aussi les produits naturels que l’on privilégie pour la bijouterie, le tri sélectif (même si on doit tous encore s’améliorer à ce niveau-là), la plupart des membres de l’équipe viennent travailler à vélo, via les transports en commun, etc. D’ailleurs, ma grande résolution pour cette année c’est justement de réduire encore l’usage de ma voiture.
Une communication douce
Qui se cache derrière la com’ ? Lou. Eh oui, c’est moi. Tout simplement. Et ma petite collègue Charlotte, qui se charge de communiquer avec le nord du pays (une corde qui manque cruellement à mon arc). Même si les réseaux sociaux nous poussent à penser notre communication de façon stratégique (et à payer pour être vus), nous communiquons essentiellement avec le cœur, de la manière la plus douce possible. Peu de newsletters, pas de boutons flashy qui clignotent sur notre site, des visuels poétiques et délicats, etc. À mes yeux, c’est aussi ça, une marque éthique.
Je crois que, pour protéger notre planète, nous sommes tous acteurs. Autant de petits colibris, pour éteindre le grand feu.
Notre communication, mes mots, mes photos, c’est aussi un vecteur de sens. C’est aussi par cet outil que je vous parviens, que je parle de durabilité, de conscience, de consommation, bref des valeurs qui me tiennent à cœur. Je crois que, pour protéger notre planète, nous sommes tous acteurs. Autant de petits colibris, pour éteindre le grand feu (si vous connaissez Pierre Rabhi, ça vous parlera). C’est l’une des responsabilités d’une petite marque comme la nôtre.
Un mot d’ordre : la transparence
Une marque éthique n’a rien à cacher. C’est la base. Elle se fonde sur le principe de la transparence. Cet article, je l’ai écrit avec le cœur. En toute bonne foi. C’est comme cela que j’ai besoin de fonctionner. Il est vrai. Comme les états d’âmes que je vous partage parfois. Cette caractéristique est dans l’ADN de Tiroir de Lou. Nous avons bien-sûr une image de marque à protéger, mais nous essayons toujours d’être le plus juste et le plus droit possible.
Même si tout n’est pas parfait, même si nous faisons des erreurs, même si nous faisons parfois preuve de naïveté, on fait vraiment et sincèrement de notre mieux pour que Tiroir de Lou soit toujours dans cette authenticité si chère à mon cœur.
Et demain ?
Je rêve de pouvoir travailler avec de l’or Fairtrade. Nous allons continuer de nous former pour faire encore plus de choses au sein de l’atelier (la dorure, par exemple, que l’on confie à un artisan belge). J’aimerais avoir l’occasion de voyager pour aller chercher les pierres à la source, rencontrer les mineurs, découvrir les techniques d’extraction, etc. On songe également à faire appel à des modes de livraisons plus green. Nous allons aussi déménager dans un atelier à énergie basse. Quant à moi, j’irai bosser à vélo, qu’il pleuve ou qu’il vente ! Bref, nous allons tous continuer sur cette lancée. Grandir et évoluer, c’est aussi ça le sens de la vie, non ?
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