On a fait de l’hypersensibilité un sujet à la mode. Une tendance instagrammable. C’est très positif car cela permet à plein d’humains de mieux se comprendre. De mieux décoder leurs proches parfois aussi. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai commencé à en parler.
Mais cette caractéristique humaine ancrée dans cette époque trop intense est presque devenue aussi obsolète qu’une « tendance ». On se prétend parfois hypersensible comme on pavanerait avec un nouveau manteau de marque. Cela ôte toute sa substance, toute l’importance de ce sujet pourtant essentiel pour tant de gens.
Être hypersensible, ce n’est pas pleurer devant des vidéos de chatons. Ce n’est pas mener la vie d’artiste en rêvant les yeux perdus dans les nuages. Les hypersensibles ne cherchent pas non plus à justifier une certaine forme de faiblesse. Ils cherchent plutôt à comprendre et à dompter leur différence.
Mais aussi leur magnifique puissance. Une puissance à l’équilibre parfait avec leur vulnérabilité assumée. Une puissance qui dérange parfois… Ces croyances collectives réductrices, nourries par l’hypermédiatisation du sujet, causent du tort aux « vrais » hypersensibles. C’est mon cas. Je finis parfois par dénigrer cet aspect de moi que j’ai eu tant de mal à accepter. Je finis par me dire que je me suis inventé une case pour justifier ma faiblesse. Il y a quelques mois, je parlais à l’amie d’une amie de mon besoin de solitude pour me ressourcer. Sa réaction a été, à mes yeux, très violente: « Ah oui, c’est ça, tu es hypersensible je parie? Comme tout le monde aujourd’hui on dirait »! Serait-ce devenu un simple sujet de moquerie? Les hypersensibles qui s’assument seraient-ils devenus ridicules, à la longue? Je crois que c’est le revers négatif de la vulgarisation de cette particularité. Comme si les fameux zèbres, en révélant la beauté de leurs rayures, avaient tendu un bâton aux humains que la vie a rendu trop durs…
Se prétendre hypersensible ce n’est pas vouloir se faire passer pour un « HP », « au-dessus des autres ». Ce n’est pas vouloir affirmer une différence à tout prix pour se différencier…
C’est essayer de partager le fait que l’on se sente différent de la plupart des gens. Que parfois, cela nous fait souffrir. Que cela nous plonge régulièrement dans un profond sentiment de solitude. Que l’on a peut-être besoin de plus d’amour que les autres… Et puis, surtout, mettre des mots, ça soulage. Quand on se comprend mieux soi-même, on peut se donner plus d’amour et devenir un individu plus épanoui, un « meilleur » humain.
Je suis hypersensible et je ne pleure pas devant des vidéos de chatons. Mais j’ai parfois du mal à suivre mon cerveau. Mes pensées qui bondissent comme du pop-corn dans une poêle. Mes ressentis qui me mènent, chaque jour, par le bout du nez. Je rentre parfois épuisée d’une soirée entre amis car j’ai inconsciemment épongé les émotions de tout le monde. Une lumière forte, un bruit que personne d’autre ne perçoit peuvent me gâcher un repas en famille. L’anxiété s’érige parfois face à moi comme un monstre à trois têtes prêt à m’empêcher de vivre. Écouter les infos me draine à un point que ma vie perd soudainement tout son sens. Je ressens un vide abyssal face à un humain incapable de sonder ses émotions, j’ai un besoin vital d’échanges intenses et profonds. Si je ne prends pas soin de moi, je me laisse balader par les énergies des autres et je me retrouve vidée, clouée au sol.
Je peux perdre ma confiance en moi en une fraction de seconde et mettre des mois à la reconstruire. Je souffre parfois de cette société qui peine à faire de la place aux émotions (la substance de l’humain, pourtant). J’ai beaucoup de mal à comprendre et à accepter l’ombre de ce monde. Cela peut même me déprimer. J’ai besoin d’intensité et de passion, sinon j’en perds presque le goût de vivre. Dans les romans, c’est joli. Et c’est vrai: c’est un trait de personnalité merveilleux. Mais cela peut-être très difficile à vivre. Surtout si on ne fait pas de place à ces belles particularités dans notre vie. Si les autres autour ne sont pas disposés à nous aimer comme nous sommes. Et surtout: si on n’arrive pas à se comprendre et à s’aimer soi-même.
Tenter d’assumer son hypersensibilité aujourd’hui revient, pour toute une flopée d’humains (frustrés? Déconnectés? Perdus?) à se rendre intéressants. Je peux vous assurer que, pour tous ceux qui vivent cette intensité dans leur chair au quotidien, c’est bien plus que ça.
C’est avant tout chercher à être reconnu, accepté, respecté et aimé dans nos particularités. À trouver notre place en tant qu’humains atypiques. À s’apaiser. À mieux s’entourer. À s’épanouir. À mieux vivre.
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